PANGEA, la start-up franco-espagnole qui réinvente le moteur-fusée

La Piste des Géants - publié le 12/06/2024 - actualisé le 12/06/24
Marie Laure Gouzy, Country Manager France, Pangea Aerospace
Marie Laure Gouzy, Country Manager France © Pangea Aerospace

Implantée dans le quartier Toulouse Aerospace depuis 2022, la start-up franco-espagnole PANGEA est loin de passer inaperçue. Et pour cause, elle s'apprête à faire décoller des fusées avec une technologie jusque-là jamais utilisée sur un vol : l’aerospike. 40 personnes, dont 13 à Toulouse, poursuivent cette quête. Une quête vertueuse, puisque cette technologie en plus d’être plus économique, est aussi plus écologique.

Marie Laure Gouzy, directrice de PANGEA France depuis maintenant deux ans, nous recevait il y a peu dans les bureaux de l’entreprise, situés en bout de Piste des Géants. Un symbole pour cette entreprise pionnière du spatial !

Racontez-nous… qui est PANGEA ?

PANGEA est motoriste. Spécialistes en propulsion spatiale, nous concevons, développons et fabriquons aussi bien des petits moteurs, que des moteurs-fusées. Ces derniers peuvent atteindre des poussées jusqu’à 750 kilonewtons.  

Vous utilisez la technologie aerospike. Pourriez-vous nous expliquer le principe ?

La technologie aerospike est au cœur de PANGEA. Nous sommes pour l’instant, au niveau mondial, ceux qui la maîtrisons le mieux. Connue depuis un certain nombre d'années, elle restait jusque-là bloquée par des verrous technologiques que nous avons justement su lever.

La grosse différence entre la technologie « conventionnelle », utilisée actuellement sur l’ensemble des moteurs-fusées, et la technologie aerospike, se retrouve au niveau de la tuyère dite « en cloche ». Cette tuyère va venir contenir et gérer l'expansion des gaz issus de la combustion du moteur. Dans le cas de la tuyère aerospike, la surface est à l’intérieur du flux de gaz de combustion. De ce fait, on ne va pas avoir de limitation due à la pression extérieure.

ARCOS Aerospike Engine
ARCOS Aerospike Engine © PANGEA Aerospace
ARCOS Combustion Chambers Test Campaign
ARCOS Combustion Chambers Test Campaign © PANGEA Aerospace

Dans le cas d’une tuyère « conventionnelle », vous avez trois scenarii possibles : soit vous avez la même pression à l’intérieur et à l’extérieur donc elle fonctionne de façon optimale, soit vous avez en sortie de tuyère une pression plus faible ou moins faible, et là, vous perdrez en performance. Toutes les tuyères “en cloche” sont conçues pour fonctionner de façon optimale uniquement à une altitude donnée. Certaines au niveau de la mer, d’autres quasiment dans le vide... chacune a un point de fonctionnement. Le principe de l’aerospike, c’est qu’il va garder quasiment la même performance, quelle que soit l’altitude. L’impact de la variation de la pression n’a pas d’influence sur son fonctionnement.

 

Cela se traduit par un gain de performance de l’ordre de 15%. On ne va pas aller plus vite, ni plus loin, mais par contre on ira de la même façon du point A au point B en consommant 15% de carburant en moins qu’avec un moteur classique. Et si vous consommez moins de carburant, vous en transportez moins et remplacez cette charge par de la charge utile. La vocation première d’un lanceur étant d’emmener de la charge utile depuis la terre jusqu’à l’orbite, c’est un gros plus pour la rentabilité d’un vol.

Quels sont les atouts environnementaux de cette technologie ?

Le moteur aerospike que nous développons fonctionne avec des ergols,(les carburants du moteur) verts, composés d’oxygène et de méthane liquides. Ce méthane liquide peut être biosourcé. C’est justement avec du biométhane que nous avons jusque-là fait nos essais !

La prise de conscience environnementale nous oblige aujourd’hui à travailler au rallongement des cycles de vie. Avec la hausse drastique du nombre de lancement, c'est une nécessité à laquelle doit répondre la filière.

 

Ce moteur a-t-il déjà volé ?

Pour le moment, notre moteur aerospike n’a encore jamais volé. Mais nous sommes tout de même très fiers, puisque jusqu’à fin 2021, un moteur aerospike n'avait encore jamais été allumé de façon continue et cohérente. Nous sommes la première entreprise au monde à avoir réussi à concevoir et allumer un modèle de ce type. Et je vous le confirme : ça fonctionne parfaitement ! Les tests ont permis de l'allumer et de l'éteindre plusieurs fois, sur une durée d'allumage en cumulé de l'ordre de plus de cinq minutes, et sur une phase ayant permis de simuler une mission complète.

Tous les voyants sont au vert ! Nous sommes à peu près certains aujourd'hui, que nous serons capables de faire voler notre moteur dès 2027.

 

A quels stades de développement sont vos produits ?

Nos produits ont différents niveaux de maturité.

Concernant la propulsion satellite, basée quant à elle sur une propulsion chimique et non aerospike, un premier vol de démonstration en orbite avec intégration sur une plateforme satellitaire est programmé pour l'année prochaine.

Sur l'échelle TRL (Technology Readiness Level), qui évalue le niveau de maturité d’une technologie jusqu’à son intégration dans un système complet et son industrialisation, nous serons au stade final 9 d’ici la fin de l’année ou début de l’année prochaine.

Nos moteurs-fusée quant à eux, ont différents niveaux de maturité selon les systèmes utilisés. Certains sont en TRL7, d’autres à un niveau légèrement inférieur. Mais nous avançons à grands pas et concourrons à un objectif : être prêts à voler en 2027.

 

À qui s’adressent vos produits ?

Nos produits sont destinés à un très large panel d’acteurs. Notre client peut être un acteur public comme un acteur privé. À ce jour, nous avons déjà signé un contrat avec la société israélo-américaine Tehiru. 50 vols sont déjà prévus !

 

Depuis votre implantation en France, avez-vous pu développer des relations partenariales avec certains acteurs ?

Nous travaillons beaucoup avec l’ESA, le CNES... Nous sommes également très soutenus par Bpifrance qui nous a permis de bénéficier d’un financement pour deux de nos projets. Je travaille également de façon rapprochée avec la Région Occitanie.

Peu à peu, nous affirmons notre ancrage toulousain et national.

 

Le siège de PANGEA est implanté à Barcelone. Vous avez choisi d’installer une antenne à Toulouse en 2022. Pourquoi ce choix ?

S’implanter à Toulouse quand on fait du spatial, ça sonne comme une évidence.
Puis géographiquement, Barcelone et Toulouse sont proches.

Je pense qu’il y avait aussi un certain attachement à cette région puisque c’est ici que certains fondateurs ont réalisé une partie de leurs études.

Dernier avantage mais pas des moindres : nous sommes ici dans un écosystème qui nous est largement favorable. Le nombre d’écoles d’ingénieurs nous facilite le recrutement, et nous sommes également très proches de nos partenaires.

 

Vous étiez il y a peu au B612. Vous avez désormais choisi des bureaux au sein de Now Coworking, l’espace de coworking situé dans le bâtiment NIWA, sur la Piste des Géants.
Le quartier Toulouse Aerospace était aussi « une évidence » ?

Je suis une pure Toulousaine, je connaissais donc ce quartier bien avant qu’il ne se « construise ». Je me rappelle encore avoir été spectatrice de l'atterrissage d’avions sur l’ancienne piste de maintenance d’Air France.

Je suis donc heureuse, même ravie, de voir la transformation du quartier. La piste de l’aéropostale au milieu, c’est tout un symbole. On oublie parfois l’histoire derrière. Quand on connaît le sujet, c’est une vue qui nous prend au cœur. J’ai hâte de voir les prochaines évolutions.